2012 – Embarquement de 90 jours à bord du Fort-Saint-Pierre,
porte-conteneurs de la compagnie CMA-CGM
10 avril Le commandant est un homme affable et pondéré, rompu à l’exercice de l’autorité indispensable ici, sans vanité quelconque. Il accepte de poser pour moi et me donne accès à la passerelle pour y travailler, avec les hommes et femmes de quart.
12 avril Un jour passé à observer les souffles de baleines à la jumelle. Soudain le disque autour est devenu métallique, aluminique, l’éblouissement virant à l’aveuglement, la mer-miroir de la seule chose tangible en cette fin de jour, la lumière du soleil en voie de disparition derrière l’horizon.
14 avril S’accrocher à la sculpture prend ici un sens très incarné. Les roulements permanents et doux du navire, sur une mer pourtant très calme la plupart du temps, m’obligent à bloquer les roues des sellettes, qui roulent sinon elles aussi. Une jambe calée contre la sellette, comme chacun ici cherche des appuis sans même y penser. Les portraits des hommes du bord s’annoncent solidement ancrés, adossés, posés. Fragmentés.
Suis montée sur la passerelle pour commencer le portrait du second capitaine, Cyril, plein de souvenirs de traversées de mers et de tempêtes, des torsions et résistances du porte-conteneurs frôlé quelques heures par un typhon, de l’émotion pour une première baleine aperçue en navigation, de son adolescence à Cherbourg, de ses retours à Marseille.
15 avril Je travaille par bribes parfois une tête, ou un buste… Ne pas faire dire à la sculpture ce qu’elle n’a pas à dire.
Extrait du journal de bord