Chez Monsieur Pierre Rolinet

Résistant déporté survivant du Struthof, Commandeur de la Légion d’honneur

décembre 2019

Dès mon arrivée, le temps de poser sac et manteau et d’être chaleureusement accueillie devant un thé, Pierre a commencé à se raconter. Comme si, et c’était bien le cas, il n’avait pas une minute à gaspiller. 
Heureux d’être écouté par des oreilles neuves, il semblait se vitaliser au fur et à mesure de son récit. Sa mémoire de même, stupéfiante, la clarté de sa narration tout autant, parfois je l’interrompais pour élargir le récit de la déportation à l’avant et l’après longue nuit dans le Struthof.
C’est à dire l’enfance, l’adolescence, la résistance, le travail, la grande famille qu’il a construite avec son épouse, le lien de transmission à ses enfants et petits enfants, le rapport que la mémoire et la politique entretiennent selon lui, les représentations qui en existent au Struthof (la flamme monumentale, le gisant de 46, la croix de lorraine, les plaques commémoratives, la croix chrétienne), son rapport aux « autres mémoires », aux autres récits. Pierre n’a plus une minute à consacrer à autre chose que survivre encore un peu et témoigner avec ce peu. Il tient debout en missionnaire de la mémoire de tous ces morts avec qui il partage son quotidien. Protestant convaincu il me dit avoir prié dans le camp un Dieu qu’il savait sourd. Il dit aussi que les morts sont bien trop nombreux pour pouvoir se retrouver en un quelconque paradis. Et que l’enfer existe. Cela nous le savons. Lui en est revenu. Sans lyre, sans lumière, sans droit à l’oubli.
En anglais, « back » signifie le retour, et le dos. Ce portrait porte différentes facettes d’une histoire infinie, celle du temps qui nous traverse toutes et tous, et qui chez cet homme fut tracée de barres ineffaçables.

Photographies, Jean Marie Gigon